
Trouble (Le Petit Robert, 2021, p.2635)
1. Se dit d’un liquide qui n’est pas limpide, qui contient des particules en suspension (boueux, vaseux) ;
2. Au figuré. Qui contient des éléments obscurs, équivoques, plus ou moins inavouables ou menaçants (louche, suspect).
Synonymes: Brumeux, confus, douteux, indécis, indéfini, indistinct, inquiétant, louche, obscur, suspect, vague. Ce qui n’est pas clair, limpide, net.
Le trouble est ce que l’on cherche par défi, pour se mesurer à l’autre, évaluer sa capacité à réagir, pour se désennuyer ou pour attirer l’attention. Le trouble s’infiltre, envahit, est plus fort que nous. Le trouble vit dans le désir, dans les corps, dans les espaces liminaires. Il s’excite devant l’entre-deux de ce qui se dévoile partiellement, un voile sur la peau nue, un regard dont il faut saisir l’insistance. Le trouble nous trouvera si on ne le cherche pas.
Le trouble est ce qui apparaît sur son visage quand je lui apprends la nouvelle ; ce que je devine dans l’hésitation de ses gestes quand j’ose prendre la parole ; ce qui est trahi dans son regard quand je me redresse après l’effondrement.
Éditorial
Se mettre dans le __________. / Chercher le _______. / En eaux _________.
Trouble (Le Petit Robert, 2021, p. 2635):
1. Se dit d’un liquide qui n’est pas limpide, qui contient des particules ensuspension (boueux, vaseux) ;
2. Au figuré. Qui contient des éléments obscurs, équivoques, plus ou moins inavouables ou menaçants (louche, suspect).
Synonymes : Brumeux, confus, douteux, indécis, indéfini, indistinct, inquiétant, louche, obscur, suspect, vague. Ce qui n’est pas clair, limpide, net.
Le trouble est ce que l’on cherche par défi, pour se mesurer à l’autre, évaluer sa capacité à réagir, pour se désennuyer ou pour attirer l’attention. Le trouble s’infiltre, envahit, est plus fort que nous. Le trouble vit dans le désir, dans les corps, dans les espaces liminaires. Il s’excite devant l’entre-deux de ce qui se dévoile partiellement, un voile sur la peau nue, un regard dont il faut saisir l’insistance. Le trouble nous trouvera si on ne le cherche pas.
Le trouble est ce qui apparaît sur son visage quand je lui apprends la nouvelle ; ce que je devine dans l’hésitation de ses gestes quand j’ose prendre la parole ; ce qui est trahi dans son regard quand je me redresse après l’effondrement.
Avec ce premier numéro, la revue Premières Lignes cherche le trouble. Les multiples variations de ce thème nous apparaissent propices à rejoindre les contestataires du premier cycle, les incertain·e·s, les expérimentateur·ice·s. Le trouble est un thème libre qui tente de réunir une communauté de gens troublés, décidés à déconstruire ce qui entrave le chemin de l’émancipation. Le trouble est ce dans quoi l’on se met lorsque l’on tente d’ébranler des structures érigées depuis trop longtemps ; lorsque l’on conteste ce qui domine, surplombe, éclipse ; lorsque l’on investit les failles, les fissures ; lorsque l’on tremble, que l’on vacille.
Le trouble peut s’envisager, avec Paul Ricoeur, depuis « les variations imaginatives que la littérature opère sur le réel1 ». Car pour le philosophe, l’imagination est cette « capacité d’accueillir un être autre pour [s]oi-même et pour les autres2 ». Cette assertion trouve un écho dans ce que le penseur appelle le « monde du texte3 ». Le texte, dans son autonomie, est monde. Il permet l’accueil d’un être autre, d’un être autrement, en ce qu’il provoque une distanciation du « réel avec lui-même4 » suivant laquelle l’être-donné se métamorphose en pouvoir-être. Par la distanciation qu’il produit entre sa référence (le monde d’où il émerge) et son projet (le monde qu’il projette), le texte littéraire permet l’osmose entre le réel et l’imaginaire et, ce faisant, dessine dans l’horizon des possibles de nouvelles modalités d’habitation du monde. Autant dire que le monde du texte, dont l’objectif même est de problématiser son monde d’émergence, instille le trouble dans notre acception du réel.
Comment alors le texte littéraire peut-il troubler le réel ? Comment ébranle-t-il les fondements des récits et des narratifs qui soutiennent ce que Foucault nomme l’épistémè, à savoir les conditions de possibilité de la production des savoirs5, conditions qui comprennent non seulement les pratiques discursives en circulation, mais également les rapports de pouvoir qui les sous-tendent ? C’est depuis ce questionnement que Premières lignes a invité ses auteur·ice·s à réfléchir aux diverses déclinaisons et manifestations du trouble en littérature, tant sur le plan formel que thématique.
1 Ricoeur, Paul. 1986 [1975]. « La fonction herméneutique de la distanciation », Essais d’herméneutique II. Paris : Seuil, p. 115.
2 Entrevue accordée au journaliste Marcel Brisebois par Paul Ricoeur. 1974. Émission Rencontres. Voir le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=wDwShjFeiM0
3 Paul Ricoeur, « La fonctionherméneutique de la distanciation », op. cit., p. 112.
4 Ibid., p. 115.
5 Foucault, Michel. 1966. Les motset les choses. Paris : Gallimard, p. 13.
Date
Hiver 2023
Numéro
n°1
Articles
7
Thème
Trouble