Il n’est de secret pour personne que la prépondérance des réseaux sociaux dans nos sociétés contemporaines altère notre rapport au monde. Mais s’il s’agit là d’une vérité qui touche tout le monde, elle influence tout particulièrement le rapport de l’auteur·trice avec sa création. En effet, les réseaux sociaux, dans leur usage actuel, brouillent, bouleversent et transforment le rapport à la fiction et, par le fait même, son écriture. Apparaît alors la possibilité d’étudier ces œuvres de fiction en correspondance avec la présence médiatique de leurs auteur·trices. C’est ce que nous proposons de faire ici en prenant comme cas d’étude Trente de Marie Darsigny : faire dialoguer l’objet livresque et l’ethos auctorial virtuel.
Dans cette œuvre publiée en 2018 aux Éditions du remue-ménage, l’autrice explore la posture de la littéraire traumatisée, s’inscrivant dans une filiation féminine et féministe. Entre ouvrages théoriques, références littéraires et culture populaire, une pléiade de figures sont convoquées, générant une posture filiale importante qui dépasse le cadre du texte. En effet, pour quiconque étant attentif•ve à l’activité virtuelle de l’autrice, il apparaît évident que l’ethos mis en scène dans l’espace romanesque est réinvesti dans l’espace médiatique, notamment sur Instagram où l’autrice est particulièrement prolifique. Nous souhaitons donc interroger cette posture, du livre jusqu’au virtuel et, ce faisant, tenter de mettre en lumière en quoi cette dernière renouvelle la performance de l’ethos auctorial, mais également les limites entre fiction et réel. Nous verrons donc comment cette manière de convoquer une filiation de femmes « condamnées[1] », doublée d’arguments théoriques féministes, contribue à convaincre le lectorat de la légitimité du sujet traité.
Construire l’ethos par l’intertexte
Attardons-nous d’abord à cette question de filiation. Dès les premières pages de son récit autofictionnel[2], la narratrice convoque ses muses littéraires, « nombreuses, mais souvent interchangeables[3] » dont elle répète les « mots comme des litanies[4] ». Mortes ou déprimées, ces muses forment une « sororité de condamnées[5] » dont la narratrice se réclame : « je prendrai les voix de celles qui ont su crier avant moi des refrains que je connais par cœur pour bien m’ancrer dans la continuité de l’expression d’une souffrance mille fois vécue par d’autres que moi[6] ». Darsigny, à travers la voix de sa narratrice – nous verrons plus tard en quoi la distinction entre cette voix et l’identité de l’autrice est brouillée – avoue ainsi ne rien écrire de nouveau. « Si ce n’est pas Elizabeth [Wurtel], alors c’est Nelly [Arcan] ou Marie-Sissi [Labrèche][7] » qui l’ont écrit avant elle. Dès lors, le désir de l’autrice apparaît clairement : adopter une posture filiale, tant dans l’expression de la souffrance au féminin que dans l’héritage théorique féministe. Outre ses muses, Darsigny cite également une importante quantité d’ouvrages féministes consacrés ; de SCUM Manifesto à The Feminist Killjoy et passant par la Sad Girl Theory, l’apport théorique est considérable. Cette intertextualité a tout lieu d’être, puisqu’elle permet à l’autrice de performer l’ethos au sens où Dominique Maingueneau l’entend, c’est-à-dire comme moyen de persuasion intrinsèque à la scène d’énonciation. Si « la preuve par l’ethos consiste à faire bonne impression, par la façon dont on construit son discours, à donner une image de soi capable de convaincre l’auditoire en gagnant sa confiance[8] », alors l’ethos convoqué dans Trente apparaît comme une stratégie discursive nécessaire pour convaincre le lectorat de son projet et de la légitimité de son discours. Rappelons que « l’écriture des femmes qui utilisent leurs expériences personnelles [est] souvent criblée d’insultes, qualifiée de « full of self-pity, self-absorbed, whiny, self-indulgent, LiveJournal-esque, annoying« [9] ». Trente, dont l’intention est précisément d’aborder la légitimité des récits mettant en scène la souffrance féminine, nécessite donc une posture énonciatrice particulière qui permette une image cohérente à son propos. Cette posture ou cet ethos est celui d’une narratrice s’inscrivant en filiation avec ses prédécesseures, donnant ainsi le poids de la tradition et de la sororité à son entreprise.
Voyons maintenant comment cette posture s’articule dans le texte. Tel que mentionné plus tôt, les noms d’Arcan, de Labrèche et de Wurtel ne cessent d’être invoqués; la narratrice les appelle même par leurs prénoms, renforçant ainsi le lien sororal qu’elle entretient avec ces autrices. À ces trois muses s’ajoute Angelina Jolie qui, bien qu’il ne s’agisse pas d’une écrivaine, s’inscrit dans la lignée des condamnées. La filiation outrepasse ici le cadre de la littérature et vient chevaucher la culture populaire, se concentrant véritablement sur la souffrance partagée par ces femmes : dépendances, dépression, automutilation, tout y passe. Cette superposition de l’héritage littéraire et de la culture populaire façonne le récit. Elle provoque ainsi un aplatissement des registres où nul·le n’apparaît plus légitime que l’autre. Ce faisant, les références populaires corroborent le propos du livre. Il s’agit ici de restituer une part de légitimité à ce qui peut être perçu comme dérisoire et inférieur puisque généralement associé au genre féminin. Darsigny joue ainsi des codes en faisant se côtoyer, sur une même page, l’émission Oprah, une référence universitaire à Sara Ahmed et les tweets de Cat Marnell[10].
Cependant, c’est certainement l’intertextualité renvoyant à l’œuvre d’Arcan qui nous apparaît la plus significative. L’autrice de Putain est d’abord mentionnée lorsque la narratrice justifie l’écriture de son journal. C’est le souhait de mourir avant d’atteindre les trente ans qui la motive, une ambition qu’elle partage avec Arcan : « [Nelly Arcan] en parle ouvertement dans Folle, c’est là, noir sur blanc[11] ». La narratrice poursuit en spécifiant que l’idée lui est venue bien avant sa lecture de Folle. Or, l’intertexte demeure évident, d’autant plus qu’il est amplifié par une seconde mention du roman. « Il est bien évident que je suis folle, Folle comme toi[12] », dit la narratrice à l’égard de sa muse tandis qu’elle déambule au Salon du livre, invoquant la morte. Darsigny use ici de la logique de réappropriation dont elle traite dans la partie essai de son mémoire afin de reprendre l’insulte et y restituer une force. Darsigny explique : « provenant de la théorie queer, l’appropriation du stigmate est un moyen de rire des oppresseurs, de jouer avec l’injure pour la transformer en fierté ou en banalité[13] ». Cette force et cette fierté renforcent par ailleurs la sororité qui émane de la filiation qu’elle tisse. La folie fait ainsi partie de l’ethos qu’elle tente d’incarner. Mais elle n’en demeure pas moins une performance, et la narratrice laisse clairement entendre son désir de faire spectacle : « c’est mon excuse pour cheminer pas à pas sous les néons qui sont mes propres projecteurs[14] ». La mention des projecteurs nous informe sur la performativité de la folie, thème qui sera reconduit à maintes reprises. Semblablement, Darsigny écrit qu’elle est « un peu actrice et […] performe ses propres mots », car plus elle « joue la comédie plus [elle se] détache de [ses] secrets[15] ». C’est qu’elle est « exhibitionniste de nature » et « aime mieux jouer que [se] cacher[16] ». L’ethos s’affiche alors comme performance, ce qui fait apparaître la question du jeu, qui elle-même nous mènera plus tard à celle du mensonge et de l’autofiction. En plus de se réclamer de la folie d’Arcan, la narratrice de Trente emprunte à sa sœur littéraire le style litanique de son écriture, composée de longues phrases, comme des plaintes s’étirant à l’infini.
Tout comme le style de l’écriture, la forme du livre, soit un journal intime s’échelonnant sur une année complète, n’est pas anodine. Comme le remarque Patricia Smart, les journaux intimes relèvent, en quelque sorte, d’une tradition, sorte de passage obligé dans l’histoire de l’écriture féminine au Québec : « c’est dans les journaux de jeunes filles, dont la vogue débute avec l’arrivée du romantisme au Québec durant la décennie 1860-1870, que le moi individuel commence à trouver une expression écrite[17] ». C’est donc à partir de ce moment de l’histoire littéraire que la femme qui écrit commence à incarner un « moi autonome[18] ». Il apparaît tout à fait justifié pour Darsigny d’adopter ici la forme du journal, s’inscrivant par le fait même dans cette tradition du moi féminin revendicateur de son autonomie. Tout en poursuivant cette idée de filiation, la forme accentue la dimension intime du texte. Elle lui concède ainsi toutes les caractéristiques pour déplaire aux mauvaises langues qui réduisent l’écriture de la souffrance au féminin à un acte narcissique. Darsigny, ce faisant, use encore de cette logique de réappropriation, et ce jusque dans la forme de son récit.
La performance du double : romanesque, mais aussi virtuelle
Comme nous avons tenté de l’esquisser, l’ethos en tant que stratégie discursive semble intrinsèquement lié à l’intertextualité qui se déploie dans Trente. Or, l’ethos rejoint également la question de l’autofiction. Tel que l’explique l’autrice à l’émission Libraire de force, le récit comporte une part autofictionnelle qui bénéficie à l’entreprise du livre[19]. Puisqu’il s’agit pour Darsigny de défendre la mise en fiction de la souffrance féminine, il apparaît logique qu’elle aille puiser à même ses propres expériences de vie. Ce faisant, la narratrice devient une sorte de double de l’autrice; un alter ego mettant en scène certains fragments de son identité, de manière à les amplifier, les approfondir, les romancer. C’est ce double qui emprunte à Arcan sa folie et le discours de ses « sœurs de douleurs[20] ».
Ainsi, cette narratrice imaginée par Darsigny rejoint la définition de Bertrand Gervais en ce qui a trait à la notion du double. Lorsqu’il s’agit « d’une identité qui fait écran[21] », l’auteur souligne également que « le double [est] souvent le catalyseur d’une crise[22] ». Il va sans dire que Darsigny, qui a désormais passé les trente ans, n’est pas seulement une femme déprimée ayant souffert de dépendances ; elle n’est pas que la Folle qu’elle prétend être dans son processus de réappropriation de l’invective, mais aussi « la somme de [ses] paraître[23] ». Cependant, l’usage d’un double autofictionnel servant à catalyser la crise apparaît être un choix tout à fait conséquent puisqu’il participe de la stratégie de construction du discours, et permet, ultimement, de convaincre cet auditoire mentionné par Maingueneau. Le double et sa posture énonciatrice rejoignent ainsi les propos de Gervais lorsqu’il souligne que « le double n’est plus un jeu savant, lié à une pratique d’écriture, mais une modalité de communication et de présentation de soi[24] ».
Ce double nous intéresse tout particulièrement puisqu’il dépasse les limites du texte. En effet, l’ethos de l’autrice, la posture de « littéraire traumatisée[25] » s’inscrivant dans une filiation féminine se poursuit dans l’espace médiatique. Nous relevons une continuité entre le discours, les manières dont ce dernier s’articule dans Trente et la présence de l’autrice sur les réseaux sociaux. Particulièrement active sur Instagram, cette permanence de l’ethos se fait d’abord remarquer par le nom d’utilisateur : @tristetigre. D’emblée, Darsigny nous renvoie à l’image de la femme blessée, triste, et à ce point déprimée que cette souffrance définit jusqu’au nom de l’avatar qu’elle incarne dans le monde virtuel. Le symbole du tigre, quant à lui, pourrait renvoyer à la colère : colère en l’occurrence féminine, pour avoir été jugée illégitime et avoir été tassée de l’histoire littéraire. La description de son profil est elle aussi éclairante en ce qu’elle revoie à l’hypersensibilité abordée dans Trente sous la marque d’une fragilité aiguë qui se porte « comme un signe sur [son] front[26] ». Son « I am aware of evildoing » réaffirme son rôle de femme décalée, de folle, voire de méchante (au sens d’antagoniste). Un rôle qui fait écho non seulement à la narratrice de Trente, mais aussi au personnage joué par Angelina Jolie dans le film Girl, Interrupted[27]. La filiation est donc réinvestie jusque dans les mots choisis pour présenter son profil. Ce choix est tout sauf anodin, puisque la description agit de cadre au profil Instagram, un peu à l’instar de l’incipit dans le texte littéraire, c’est-à-dire qu’il donne le ton, informe de ce qui est à venir, agit en tant que porte d’entrée dans la fiction… ou dans la performance.
Cette performance se poursuit dans l’esthétique des publications : nous retrouvons les caractéristiques usuelles de la radical softness, c’est-à-dire un jeu créé « avec les codes de la féminité, les détournant ou les exagérant pour en faire subversion[28] ». Si Darsigny convoque la théorie de la radical softness pour légitimer l’apparente vulnérabilité de son récit et de celui de ses muses[29], elle semble aussi en reproduire les codes esthétiques dans l’espace virtuel. Ainsi, maintes publications représentent des images « féminines, avec une douceur parfois morbide, défiant le capitalisme et/ou le patriarcat[30] ». C’est également l’esthétique dont se réclament la couverture et les images qui accompagnent le récit à même le livre.
Nous retrouvons cette même construction esthétique sur le site personnel de l’autrice ainsi que sur son compte Twitter. Le premier la présente comme une « femme fantôme », réaffirmant à la fois l’importance de son identité de femme, mais aussi de condamnée, l’étiquette fantôme évoquant la posture de l’écrivaine maudite et de la morte. Le nom d’utilisateur de son compte Twitter joue sur le même plan. Le @mariedarksigny tourne au calembour l’apparente noirceur des sujets de prédilection de l’autrice tout en rappelant ce passage du livre :
J’ai lu dans un article scientifique que des chercheurs ont découvert une couleur plus noire que le noir, un super-noir, alors je me suis dit : COOL ILS ONT TROUVÉ MON ÂME, un noir qui n’a pas de texture, qui absorbe tout et qui ne réfléchit rien, qui ne réfléchit à rien, qui ne réfléchit même pas avant d’agir, comme moi […][31] .
Outre les publications rappelant l’esthétique de la radical softness, Darsigny use aussi de sa présence médiatique à des fins politiques. Comme c’est le cas dans Trente, plusieurs de ses stories abordent des enjeux féministes. Enfin, le partage de memes en stories Instagram, où l’actrice Angelina Jolie est régulièrement convoquée (tout autant que dans ses publications Twitter et Instagram), fait également écho aux figures que nous retrouvons dans Trente. Parmi ces memes, certains adressent aussi la sobriété de l’autrice avec une touche d’humour propre au format.
Il est intéressant de relever que le récit lui-même pointe vers cette convergence, notamment à travers de son intermédialité. Les références à Twitter et l’emploi d’images, elles aussi empreintes de l’esthétique de la radical softness, renvoient au compte Instagram de Darsigny. Ce faisant, l’autrice invite son lectorat à sortir du livre pour constater comment la fiction se poursuit sur le web, mais aussi de quelle manière les frontières en sont brouillées, rappelant à la fois l’intelligence et les limites de la mise en scène. Nous retrouvons ici ce jeu dont parlait Gervais qui favorise « un brouillage de plus en plus important des limites de la fiction, processus qui est au cœur même de la culture de l’écran[32] ». Il va sans dire que, aussi bien dans le cas du livre que pour la présence médiatique, ce double constitue une image finement travaillée, une mise en scène. Le spectacle dont nous informe le texte est donc toujours en actualisation, corroborant la théorie de Gervais :
Si la réalité est une construction sociale, l’imaginaire contemporain nous en offre une version élaborée sur la base d’un spectacle permanent, d’une médiatisation où l’image s’impose comme valeur fondamentale et où l’identité est un jeu, qui déborde l’opposition habituelle établie entre le soi et le même, pour s’ancrer dans la dynamique d’une identité processus[33].
Le livre, par ailleurs, ne cesse de nous informer sur cette posture fictive et sur la mise en scène qui s’y cache : « je mens sans arrêt[34] », nous avertit la narratrice. La question du jeu nous est elle-même annoncée lorsque la narratrice confie que le « besoin de scénarios[35] » et le désir d’être regardée organisent sa vie depuis l’enfance. Enfant, elle prenait part à ce jeu : « J’imaginais que j’étais observée par un être supérieur imaginaire, je me disais que si mes actions étaient surveillées, ça voulait dire que je n’avais pas droit à l’erreur[36] ». Puis, dans sa vie adulte : « Même aujourd’hui, je continue à jouer à ce jeu, d’agir pour quelqu’un d’autre que moi, d’agir pour quelqu’un ou quelque chose qui justifiera mes actions[37] ». Pourrions-nous supposer que c’est ce même désir qui motive la mise en scène du soi, du double fictif, tant dans l’espace livresque que médiatique ? Oui, si l’on se fie aux intentions de la narratrice telles qu’elle les donne à voir : « Je veux (ré)écrire ma vie pour avoir un peu de contrôle[38] ». Le livre devient alors un espace à investir pour revendiquer son autonomie – rien de proprement nouveau ici, cette approche rappelle celle de la filiation dont Darsigny se réclame. Or, comme l’ethos déborde du roman pour investir les réseaux sociaux, il s’agit d’un parfait exemple d’identité-flux telle que définie par Gervais. L’espace médiatique devient donc lui aussi une fiction, extension de celle initiée dans le livre, et vice versa.
Celle qui se dit exhibitionniste de nature ressent conséquemment le besoin de se confesser : « Car c’est dans les aveux que la forme de l’autre se révèle […] la forme de notre existence[39] ». Ces propos de la narratrice ne sont pas sans rappeler ceux de David Bélanger sur l’autofiction : « ces œuvres flirtent avec le fantasme de l’intime, du personnel et de l’authentique pour mieux tirer le lecteur vers le romanesque[40] ». Ainsi le lectorat, mais aussi l’usager·gère des réseaux sociaux, est mystifié·e : « L’auteur n’a qu’à faire apparaître un approximatif jumeau dans les pages de son texte [ou de toute autre fiction] pour qu’on l’y croie en pleine confession[41] ». La continuité entre l’ethos livresque et l’ethos médiatique de l’autrice a pour effet de rendre cette approximative jumelle d’autant plus convaincante. Mais « il n’y a pas d’aveux sans mensonges[42] », écrit Darsigny, ce qui nous porte à croire qu’une part de performance subsiste parmi ses « confessions pseudo-salutaires, [ses] aveux littéraires[43] » ainsi que dans sa persona virtuelle. Il s’agit donc bel et bien ici d’un spectacle permanent, où l’identité est non seulement un jeu actif, mais où l’autrice peut aussi se (re)dire, elle et sa sororité de condamnées. Jeu de vulnérabilité, de folie réappropriée, qui sert une visée féministe et politique. Rappelons que Darsigny a pour objectif de renverser le statu quo : « Écrire la souffrance est un choix politique qui ouvre le terrain à la résistance politique aux systèmes d’oppression[44] » écrit-elle, dans la partie essayistique de son mémoire, dont Trente est le versant création. La mise en scène du double outrepasse donc le simple jeu puisqu’elle devient une arme de résistance féministe travaillant sur deux plans à la fois, livresque et virtuel. Ainsi, Darsigny nous rappelle tout le potentiel subversif de la fiction, mais aussi de l’autofiction, et plus particulièrement celle signée de femmes qui ont été et demeurent jugées illégitimes. Un constat émerge alors; que l’autofiction prenne place entre les pages d’un roman ou sur nos écrans, il faut faire attention aux apparences, car ce n’est pas parce qu’elle se pare de rose bonbon qu’elle n’en est pas moins revendicatrice et radicale.
[1] Marie Darsigny, Trente, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2018, p. 9.
[2] Ainsi que le mentionne Darsigny en entrevue, Trente est difficilement classable ; publicisé comme roman, mais présenté comme récit sur sa quatrième de couverture, le livre comporte aussi des éléments autofictionnels, flirte avec la confession, mais aussi l’essai, tout en adoptant la forme d’un journal intime (Darsigny à l’émission « Libraire de force », 2018).
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Ibid., p. 16.
[7] Ibid., p. 9.
[8] Dominique Maingueneau, « L’ethos, de la rhétorique à l’analyse du discours. Version raccourcie et légèrement modifiée de « Problèmes d’ethos » », Pratiques, numéro 113-114, 2002, p. 1.
[9] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 96.
[10] Ibid., p. 44.
[11] Ibid., p. 17.
[12] Ibid., p. 53.
[13] Ibid., p. 76.
[14] Ibid., p. 53.
[15] Ibid., p. 68.
[16] Ibid., p. 69.
[17] Patricia Smart, De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime, Montréal, Boréal, 2014, p. 174.
[18] Idem.
[19] Maxime Nadeau et Camille Tiffoli, « Libraire de force », CIBL 101,5, [enregistrement sonore], Montréal, 21 septembre 2018, en ligne, <https://www.mixcloud.com/CIBL_LibraireDeForce/013-libraire-de-force-2018-09-21-cibl-1015-montréal/>, consulté le 15 mars 2022.
[20] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 147.
[21] Bertrand Gervais, « Formes contemporaines de l’identité », Québec français, numéro 173, 2014, p. 51.
[22] Idem.
[23] Idem.
[24] Idem.
[25] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 126.
[26] Ibid., p. 67.
[27] Ibid., p. 38.
[28] Meg Zulch, « Radical softness. La féminité subversive », Artichaut Magazine, 2016, en ligne, <http://artichautmag.com/radical-softness/?fbclid=IwAR19tdkb4kHCcPaku09J0pc8sRImMCILlAnS-BMQ2kaoYJUlxQF-tAxmyfM>, consulté le 22 avril 2022.
[29] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 67.
[30] Meg Zulch, « Radical softness. La féminité subversive », op. cit.
[31] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 34.
[32] Bertrand Gervais, « Formes contemporaines de l’identité », op. cit., p. 52.
[33] Ibid., p. 51.
[34] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 45.
[35] Ibid., p. 39.
[36] Idem.
[37] Idem.
[38] Ibid., p. 106.
[39] Ibid., p. 59.
[40] David Bélanger, « Des miroirs déformants. Le double autofictif dans la littérature québécoise contemporaine », Québec français, numéro 173, 2014, p. 42.
[41] Idem.
[42] Marie Darsigny, Trente, op. cit., p. 60.
[43] Ibid., p. 58.
[44] Darsigny, Marie, Trente suivi de l’écriture de la souffrance comme acte de résistance féministe, Université du Québec à Montréal, 2018, p. 111, en ligne <https://archipel.uqam.ca/11456/1/M15504.pdf>, consulté le 15 mars 2022.
